• le 6 septembre 2021

LES GÉMISSEMENTS DE JÉSUS

Matthias HELMLINGER

Marc 7, 31- 37 (Ps 146 ; Es 35,4-7 ; Ja 1,1-5)

Le psaume de ce dimanche annonce la vengeance de Dieu. La vengeance de Dieu, c’est qu’il vient lui-même. Il vient avec une liste des gens qu’il va sauver : les opprimés, les affamés, les personnes enchaînées, les aveugles, les accablés, les étrangers, les veuves et les orphelins. L’évangile nous présente ce Dieu qui est venu lui-même, en personne, c’est Jésus-Christ. Sa vengeance, c’est d’apporter le salut à cette liste de gens.

Alors, maintenant, où en sommes-nous? Nous sommes dans le temps où l’évangile est prêché. Jésus est venu et il est monté au ciel, s’asseoir à la droite de Dieu. Il n’est pas reparti sans avoir sauvé chaque être humain de ses péchés, car son sang est suffisant pour effacer tous les péchés des humains devenus tellement inhumains. Il a réconcilié tous les êtres humains avec Dieu et a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. C’est ce que l’apôtre Paul explique dans II Co 5,19. Jésus n’a pas seulement acquis la réconciliation des êtres humains avec Dieu, il a aussi mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Nous vivons donc le temps où l’évangile est annoncé. Ce temps a commencé tout au début du ministère de Jésus. En même temps que Jésus, les disciples de Jésus allaient deux par deux dans les villages guérir les malades, chasser les démons et prêcher la conversion Mc 6.13. Il faut noter que la conversion était prêchée au peuple de Dieu, Israël, les Juifs. On le dit rarement, que la conversion était prêchée à un peuple avec qui Dieu avait déjà fait alliance éternellement. Ce n’est pas parce que nous sommes maintenant aussi le peuple de Dieu que la conversion ne doit pas nous être prêchée. C’est ainsi seulement que notre langue sera déliée pour annoncer la Parole de Dieu. Le prophète Esaïe a reçu de Dieu beaucoup de paroles de Dieu pour Israël, que Dieu considère comme sourd, muet et aveugle. Mais il a aussi reçu des prophéties comme celles que nous avons entendues ce dimanche : « les yeux des aveugles s’ouvriront, les oreilles des sourds entendront… la langue de celui qui bégaie chantera de joie » Es 35.5-6. « Celui qui bégaie » se dit en grec mogilalos. Ce mot n’est employé que deux fois dans la Bible : dans le texte d’Esaïe que je viens de citer et dans cette guérison du sourd-bègue dans la Décapole. La Décapole est un territoire à l’Est de la mer de Galilée, où habitent des non-Juifs. Le sourd-bègue que Jésus guérit n’est probablement pas juif. La réputation de guérisseur de Jésus avait donc dépassé les frontières d’Israël. C’est pareil aujourd’hui : l’évangile est reçu avec force dans des pays que nous, les chrétiens, pensions imperméables à l’évangile. Il est reçu avec force dans des pays musulmans, dans des pays où règne la persécution. Dieu crée l’écoute, il crée même le témoignage de sa Parole dans des pays où la situation spirituelle est sombre. Comment recevons-nous ces témoignages ? 

Cet été, lors d’une retraite de l’union de prière, communauté dont je fais partie avec Sophie ma femme, un pasteur retraité a demandé pardon à Dieu dans les larmes pour ses prédications. J’ai été ordonné pasteur pour prêcher l’évangile en 1986. Mais comment est-ce que je prêche ? Ne suis-je pas aussi ce bègue qui fait gémir Jésus ? Nous sommes muets concernant l’évangile, au mieux, nous sommes bègues. Seule Jésus lui-même, Jésus physiquement qui nous touche, nous guérit. Et c’est difficile pour lui. Ça lui coûte cher, puisqu’il gémit. Ça lui coûte sa propre « chair » C.H.A.I.R. à vrai dire. Le pasteur Samuel Peterschmidt de l’église la Porte Ouverte à Mulhouse a failli mourir du Covid. 40 paroissiens, dont des collaborateurs proches sont décédés dans la première vague du Covid. Pour Samuel Peterschmidt les médecins n’ont rien pu faire. Il s’était déjà résigné à mourir. Le Seigneur est venu lui-même le guérir. Il a, après sa guérison miraculeuse, exprimé lui aussi une repentance par rapport à ses prédications ; il a dit: nous parlons de Dieu comme si nous étions des experts de la connaissance de Dieu. Il faut laisser Dieu être Dieu et avouer que nous ne le comprenons pas. Et Jésus ici, est Dieu, car la foule dit de lui « il a bien fait toutes choses » Mc 7.37. On ne peut dire cela que de Dieu, puisqu’il est écrit dans le premier récit de la création : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici, cela était très bien » Ge 1.21.

 Jésus a touché le sourd-bègue. Jésus lui a mis ses doigts dans les oreilles, il lui a mis sa salive sur sa langue. Il aura fallu tous ces contacts physiques pour que le sourd-bègue puisse entendre et parler distinctement. Il aura fallu que Jésus lève ses yeux au ciel, qu’il regarde à son Père dans le ciel, vers qui il est allé maintenant avec sa propre chair ressuscitée, chair qu’il nous communique par le Saint-Esprit dans la Sainte-Cène. Il aura fallu aussi que Jésus gémisse pour dire le mot araméen « Ephphata » « sois ouvert ». Il n’a pu donner cet ordre qu’après avoir gémi. Dans ce gémissement, il y a toute sa souffrance, toute sa douleur devant l’état de cet homme sourd-bègue, devant l’état du monde sourd, aveugle, muet alors que Dieu est venu lui-même sauver, il y a toute sa douleur devant ses disciples, qu’il a déjà envoyer prêcher la conversion, guérir les malades, chasser les démons, mais qui ont toujours le cœur endurci Mc 6.52. Marc dit que les disciples ont le cœur endurci, parce qu’ils ne comprennent pas la multiplication des pains, on peut dire aujourd’hui : à la Sainte-Cène. Il y a dans ce gémissement de Jésus toute sa douleur devant le peuple de Dieu, et ceux qui connaissent le mieux la Bible, les pharisiens qui lui demandent un signe venant du ciel. Marc nous dit, que devant cette demande, que Jésus a gémi en son Esprit Mc 8.11 et qu’il a carrément répondu qu’il ne donnera pas de signe à cette génération. Jésus souffre de notre surdité, de notre bouche fermée, de notre langue liée (c’est l’expression employée dans notre texte pour désigner le bègue), de notre aveuglement alors qu’il est venu. Dieu est venu se venger de toute la détresse humaine en venant la consoler, la guérir. Mais les yeux sont encore fermés, les oreilles sont encore fermées, les langues ne sont pas déliées. Jésus souffre qu’on lui demande encore un signe venant du ciel, alors qu’il est lui-même venu du ciel. 

Dieu est venu et en fait, rien ne s’est passé. Voilà comment nous pensons. Les disciples ont besoin d’être guéris, les Juifs ont besoin d’être guéris, les Nations ont besoin d’être guéris. Peut-on reprocher à un aveugle de se cogner contre des obstacles, peut-on reprocher à un aveugle de ne pas trouver son chemin ? Mais c’est ce que nous faisons, nous chrétiens par rapport à ceux que nous classifions comme non-croyants. Peut-on reprocher à un sourd de se fabriquer lui-même un discours ? Mais c’est ce que nous faisons par rapport à nos contemporains qui tiennent des propos contraires à la Bible. Quand Jésus vient, les sourds entendent, les muets parlent, les aveugles voient. 

Mais l’évangile ne nous cache pas l’opposition à cette venue, même parmi les disciples. Jésus n’a appelé aucun des pharisiens « Satan », mais il a appelé ainsi son disciple Pierre, qui voulait l’empêcher d’aller à la croix Mc 8.33. Il est important de bien comprendre que nous sommes tous dans la même situation, croyants ou non-croyants, quand il s’agit d’écouter, de parler, de voir : nous avons tous besoin de Jésus, de Jésus en permanence. 

La guérison qu’il opère sur nos yeux, nos oreilles, nos langues lui est pénible. Elle lui arrache des gémissements. C’est en recevant un morceau de sa chair, une petite goutte de sa salive ou de son sang que la guérison opère en nous. C’est en l’écoutant prier que sa guérison opère en nous. Nous pouvons tous écouter Jésus prier, car ses prières sont dans la Bible. 

Ainsi, solidaires de Jésus, membres de son corps, nous gémissons nous aussi. L’apôtre Paul dit que nous gémissons, attendant d’être « revêtus de notre domicile qui est du ciel » II Co 5.2. Curieuse expression : un domicile qui est un vêtement! Mais l’image n’est pas si difficile à comprendre : notre nouvel environnement sera notre vêtement, la vie provenant de Dieu nous enveloppera complètement jusqu’à engloutir ce qui est mortel en nous. « La mort sera absorbée par la vie » dit encore l’apôtre Paul II Co 5.4. Nos gémissements, comme ceux de Jésus ne sont pas négatifs, car tout entier orientés vers le ciel, vers notre Père dans le ciel, qui viendra entourer de son manteau toute notre condition humaine mortelle. Quelle joie de vivre avec une telle perspective ! Quelle extraordinaire façon nouvelle de vivre notre existence quotidienne ! Tout cela, nous le recevons du gémissement de Jésus, gémissement devant notre surdité et notre langue liée. Quand nous écoutons l’exhortation de l’apôtre Jacques à ne pas faire de distinction entre les personnes dans les églises, n’est-ce pas la preuve que nos langues sont liées ? Elles sont liées pour bien parler, mais elles ne sont pas liées pour mal parler. Le lien de notre langue, il est dans notre cœur, où nous faisons une discrimination entre les personnes : celle-ci est bien, celle-ci n’est pas bien. 

Quand Jésus s’est effondré sous le poids de la croix, il a certainement gémi. Puis il a été cloué, élevé verticalement sur cette croix, souverainement élevé vers le Père pour que tout soit guéri dans l’être humain, et même dans la création tout entière. 

Dans Romains chapitre 8, l’apôtre Paul mentionne trois gémissements : 1 la création gémit, attendant d’être déliée de cet esclavage de corruption où elle se trouve, 2 nous gémissons en nous-mêmes, nous aussi, nous qui avons reçu les prémices de l’Esprit, attendant l’adoption, la délivrance de notre corps, 3 et quand il s’agit de demander à notre Père dans le ciel, l’Esprit intercède en nous par des gémissements inexprimables

Dans le Psaume 38 au verset 10, la personne priante affirme une certitude devant Dieu : « mon gémissement ne t’est pas caché ». 

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