• le 13 juillet 2025

AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES

Alain NADAL

Jn 15.9-17                        

 Je voudrais particulièrement insister sur le v 12 : « Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

   Dans ce verset, nous percevons souvent une contradiction, à cause du rapprochement des mots commandement et aimer. Mais nous voyons aussi une impossibilité, car nous nous sentons incapables d’aimer tout le monde, même dans le cadre d’une communauté. Et lorsque Jésus ajoute : « Comme je vous ai aimés », cela nous semble encore plus impossible. Car Christ nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous. Ceci entraîne une incompréhension, un malaise même, chez les chrétiens soucieux de mettre en pratique la Parole de Dieu. En effet, nous avons beaucoup de mal à admettre que l’on puisse aimer sur commande ! 

   Et pourtant, Jésus emploie bien le mot commandement quand il s’adresse ici à ses disciples. Si ce commandement ne concernait qu’eux, ça ne nous poserait pas de problème. Mais nous savons tous que cette parole nous concerne aussi en tant que témoins du Christ. Alors, lorsque nous entendons ce commandement, nous pensons immédiatement à ceux que nous n’aimons pas. Qui d’entre nous, en écoutant ce commandement de Jésus ne s’est pas dit : C’est impossible que je l’aime, lui (ou elle), avec son sale caractère, ou après ce qu’il (elle) m’a fait ! Nous trouvons toujours quelque chose de travers chez lui (elle) pour justifier le fait que nous ne l’aimons pas, que nous ne pouvons pas l’aimer !

   La solution la plus simple pour être en paix serait d’arracher la page du chapitre 15 de l’Evangile de Jean ! Mais ce ne sont pas des choses qui se font ! Il faut donc chercher à comprendre ce que veut dire Jésus lorsqu’il nous dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

  Dans ce but, il faut d’abord que s’opère une révolution dans la compréhension que nous avons tous du verbe aimer. Pour nous, aimer fait partie du domaine du sentiment : on aime d’affection ou de tendresse ou d’amour passion. C’est cette compréhension de l’amour, profondément ancrée en nous, qui nous fait penser que le mot commandement n’a pas sa place dans le domaine de l’amour. L’amour pour notre conjoint, l’amour pour nos enfants, nos amis n’a pas été le résultat d’un commandement, mais plutôt celui d’une attirance, d’un sentiment profond de tendresse ou d’affection, peut-être même d’un coup de foudre.

  Pour Dieu, pour Jésus, et pour les disciples qui reprennent l’enseignement de Jésus, aimer ne se limite pas seulement, comme nous le faisons, au domaine du sentiment. Aimer, c’est avant tout du domaine de la volonté. Volonté de quoi ? Volonté d’obéir à ce que dit l’Écriture. C’est la raison pour laquelle Jésus peut employer le mot commandement lorsqu’il demande aux croyants de s’aimer les uns les autres. 

  Voici un exemple d’obéissance déconnectée de la notion de sentiment : Même si vous n’avez pas des sentiments bienveillants pour votre supérieur hiérarchique, vous obéissez à ce qu’il vous demande de faire, même si vous n’en avez pas envie. Vous pourriez très bien ne pas obéir, mais vous avez décidé de le faire, ne serait-ce que pour ne pas vous attirer des ennuis ! C’est ce qui se passe à propos du pardon qui est aussi un commandement : Pour pouvoir pardonner des offenses humainement impardonnables, il faut le décider, il faut choisir de pardonner. Ce n’est pas une question d’humeur. C’est une question de volonté. Et alors, Dieu nous donne la force de pardonner. C’est cette démarche volontaire que Jésus nous demande d’avoir, qui permet à Jésus de commander à ses disciples d’aimer même leurs ennemis : Moi, je vous dis : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent (Mt 5.43-44). Nous voyons bien que dans ce cas précis, Jésus ne nous demande pas d’avoir de l’affection, de nous lier d’amitié avec celui qui nous fait du mal. Il nous demande d’avoir la volonté de lui pardonner, de le reconnaître dans son identité d’enfant de Dieu, de lui vouloir du bien. C’est dans cet état d’esprit que Jésus nous commande d’aimer, Lui qui nous a aimés alors que nous étions pécheurs (Rm 5,8).

   Lorsque Jésus veut nous faire comprendre à quoi il reconnaît qu’un de ses disciples l’aime, il ne tient pas compte, d’abord, des grandes déclarations d’amour que ce disciple lui fait dans sa prière personnelle ou communautaire : Ô Seigneur ! tu sais combien je t’aime ! Il prend en compte, d’abord, son obéissance à sa Parole : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements » (Jn 14.15). « Celui qui retient mes commandements et leur obéit, voilà celui qui m’aime » (Jn 14.21). « Quiconque me dit : Seigneur, Seigneur ! n’entrera pas forcément dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7.21).

   Jésus évalue notre amour pour lui, non pas d’abord sur ce que nous lui disons, mais sur ce que nous faisons pour obéir à ses commandements. Il en est de même lorsqu’il nous demande de manifester de l’amour pour notre frère en Christ ou pour notre prochain : Ce qui compte, c’est ce que nous faisons pour ce frère ou notre prochain. Nous n’aurons peut-être pas à mourir pour quelqu’un, mais il y a d’autres façons de mettre en pratique l’amour qui va jusqu’au sacrifice : en écoutant, en aidant, en encourageant, en soutenant. Cette façon d’aimer manifeste le désir profond d’être en accord avec les lois du Royaume de Dieu. Il s’agit de vivre l’amour qui a sa source en Dieu et qui puise sa force dans l’amour dont Dieu nous aime. 

  Pour confirmer, par un autre texte biblique, la vision que Jésus nous donne de l’amour du prochain, je vais lire maintenant la définition que Paul donne de l’amour. Lecture de 1 Co 13.4-7.

  Je vous fais remarquer qu’il n’est jamais question de sentiments dans ce texte. Il n’est question que d’attitudes, ou de comportement vis-à-vis d’une tierce personne. Ces attitudes, ces comportements marquent tous la volonté d’honorer le prochain, que ce soit ses parents, son conjoint, son enfant, son voisin, son patron, etc…

   C’est comme si Jésus, à travers les paroles de Paul, nous disait : Aimer son frère en Christ, aimer son prochain, ce n’est pas d’abord lui dire : Je t’aime ! C’est, avant tout, être patient avec lui ; c’est être serviable envers lui ; c’est ne pas être envieux de ce qu’il est ou de ce qu’il a ; c’est ne pas se vanter auprès de lui ; ne pas se sentir supérieur à lui ; ne pas vouloir le léser ; ne pas garder sa colère envers lui ; ne pas lui souhaiter du mal ; lui pardonner s’il vous a offensé ; lui faire confiance ; accepté qu’il soit comme il est. Bref, c’est obéir à des commandements d’amour qui ont leur source en Dieu. Nous comprenons tous que cette façon d’aimer n’est pas forcément liée aux sentiments. Il est donc possible d’aimer par obéissance.

   Mais alors, l’amour-obéissance discrédite-t-il l’amour-affection ? Sont-ils opposés, incompatibles ? Certainement pas ! Lorsque l’affection vient compléter l’obéissance, c’est une grâce de plus que Dieu accorde à ses enfants. La dimension affective est bien présente dans la vie de Jésus. Dans le récit de la résurrection de Lazare (Jn 11), le texte insiste beaucoup sur les liens d’affection qui liaient Jésus avec Lazare et ses 2 sœurs, Marthe et Marie. Comment en serait-il autrement, puisque Jésus était non seulement vrai Dieu, mais aussi vrai homme. Ce qui donne la mesure de l’amour de Dieu envers les hommes, ce sont d’abord les actes. Jn 3.16 le dit particulièrement clairement : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique…pour nous sauver. Mais la dimension amour-tendresse est bien présente dans toute l’Écriture : « Dans un débordement d’indignation, je t’avais un instant dérobé ma face, mais avec un amour éternel, j’aurai compassion de toi » (Es 54.8). « Je t’aime d’un amour éternel, c’est pourquoi je te conserve ma bienveillance » (Jr 31.3). « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour » (Jn 15.9).

   Pour conclure, je dirai ceci : L’Écriture nous montre les deux facettes de l’amour de Christ pour les hommes : Il a obéi à Dieu en donnant sa vie à la croix, et il a aimé les siens avec tendresse. Christ demande à ses disciples de manifester ces 2 facettes, comme il l’a fait lui-même : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Mais l’Écriture semble aussi nous dire clairement que c’est l’amour-obéissance qui exprime la valeur et la grandeur de l’amour. Jésus l’exprime ainsi : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance en avez-vous ? En effet, les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment » (Lc 6,32). Cela implique que l’amour du prochain peut se manifester sans la dimension affective. L’exemple le plus probant étant l’amour pour son ennemi. Et lorsque l’amour-tendresse vient en complément (ce qui est souhaitable et qui se produit souvent), c’est la manifestation de la grâce de Dieu qui a aussi créé l’homme pour le bonheur, en lui donnant de pouvoir exprimer les élans de son cœur. Mais prenons garde de ne pas nous contenter d’aimer en paroles seulement. 

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